20.2.09

My-thic: Ceci n'est pas le Che


A la façon d’une œuvre de Magritte, la légende de la célèbre photo prise par Alberto Korda pourrait être « Ceci n’est pas le Che », car l’homme au béret étoilé qui apparaît ainsi aux yeux de tous disparaît aussitôt que chacun s’approprie l’icône. La représentation fait sens au-delà de ce qui est représenté. L’homme s’efface et le mythe prend vie. Entre vérité historique et constellation mythique, la réalité d’un homme et d’une idéologie tente de traverser le temps et les controverses.


Derrière ce visage christique, le Che est mythifié, transcendé par la vision de ceux qui l’admirent. Sa vie est liée à un destin qui lui échappe. Elle ne lui appartient plus. Tour à tour, les regards se posent sur l’image, fondent les impressions et éveillent l’imaginaire. L’idée que l’on se fait du personnage devient alors ce personnage. Au fond, « un tableau en dit plus long sur le peintre que sur le modèle 1. »

De même, le portrait que dressent admirateurs et détracteurs du Che en révèle davantage sur ceux qui tiennent le discours ou la plume. Monstre sanguinaire ? Héros romantique ? A ces considérations, Guevara préférerait certainement la réalité concrète, véritable moteur de son action. D’aucuns distinguent en lui des ardeurs militaires, or, la lutte armée est considérée par le Che comme un corollaire secondaire, et non l’axe principal du mouvement. La stratégie de Guevara consiste essentiellement à agir concrètement ici et maintenant, indépendamment d’une position géopolitique déterminée vis-à-vis des pôles de décisions. Il refusait la vision manichéenne de la confrontation entre bloc communiste et bloc capitaliste. Et contrairement aux idées reçues, Guevara n’a pas toujours été fidèle à Castro. Tandis que ce dernier se conformait à Moscou, le Che dénonçait l’interventionnisme et la folie dirigiste des soviétiques, espérant – vainement – rallier le lider maximo à ses opinions.

Guevara n’avait pas soif de pouvoir. Sa vision s’approchait davantage de celle du général San Martin, autre libérateur d’Amérique latine qui disait que « ce n’est pas parce que quelqu’un est bon soldat de la liberté qu’il saura être un gouvernant juste et respectueux du peuple. » Aujourd’hui, à Cuba, Castro prouve tristement que « le sabre du libérateur devient celui du tyran si le premier ne se retire pas à temps. » Pour autant, le Che a-t-il eu tort d’« exiger l’impossible » ? Nombre d’exemples historiques en attestent : ceux qui se disent qu’il n’y a rien à faire, se délectent d’un monde injuste et pointent du doigt les échecs de ceux qui ont essayé, en vain, de modifier l’ordre établi. En outre, ceux qui croient que tout irait mieux si les choses étaient comme ils voudraient qu’elles soient agissent peu une fois devenus dirigeants ou provoquent un désastre. En faisant la révolution, Guevara espérait créer çà et là de nouveaux possibles, « deux, trois, beaucoup de Vietnam ».

Dans les années soixante, ces idéaux seront adoptés par les anticapitalistes, groupes de contre-culture, mouvements indigénistes, hippies, beatniks, musiciens, et séduiront également le jeune prolétariat urbain. Plus largement, les opprimés y verront une issue à leur quête de justice. Il est indéniable que certains y ont laissé leur vie. En luttant pour vivre différemment, quitte à en accepter les conséquences néfastes. Ce volontarisme idéalisé s’embarrassait peu – faut-il l’admettre – des conditions objectives de réussite.

Entre théorie des foyers de résistance et positions de la gauche classique, différents mouvements guévaristes prirent vie en Amérique du Sud dès 1965: le MIR au Chili, les Tupamaros de Bolivie, l’ERP argentin, et enfin, l’ELN qui combattait le général Batista en Bolivie dans la dernière lutte dirigée par le Che.
A l’époque et aujourd’hui encore, les instances politiques de gauche n’approuvent pas le défi guévariste dans sa pleine mesure, car il vise à l’amélioration directe de la situation, sans garantir qu’elle perdure et s’installe dans un futur parfait. S’engager tout en sachant qu’il n’existe pas de triomphe final, ni de société ‘fin de l’histoire’ est difficilement acceptable et saborde les motivations moins fortement ancrées.

On assiste actuellement à un dépassement historique du guévarisme, bien qu’il n’ait pas été véritablement théorisé. Il nous rappelle qu’il est possible de sentir que les autres, le milieu et le futur nous appartiennent.
Après « Diarios de motocicleta » qui montrait à l’écran le visage humaniste de celui qui allait devenir le Che, Soderbergh en dépeint aujourd’hui, au cinéma, la figure historique.

Si ce biopic de plus de quatre heures livre une histoire romancée de la vie du Che, gageons qu’elle aura le mérite d’inviter chacun à vouloir changer les choses. Cet héritage-là est celui du Che. Bien plus que les difficultés que rencontre l’Amérique latine plus de quarante ans après sa disparition. « Plus qu’un modèle, le Che représente l’exigence existentielle de vivre sa propre vie au lieu de l’administrer comme un gestionnaire de patrimoine. (…) L’engagement nous engage, non à la manière d’un investissement bancaire, mais dans un investissement où c’est ‘tout ou rien’. Voilà le ‘reste’ sur lequel nous nous interrogions, le corollaire indissoluble du mythe, de ce qui reste malgré tout, à travers les mille et une images éparses du Che 2. »


1. BENASAYAG, Miguel, « Che Guevara, du mythe à l’homme. Aller-retour », Bayard, collection Légendes.
Le présent article est librement inspiré de cet ouvrage de référence.
2. Ibid.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

tres intiresno, merci